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Qu'est-ce qu'une série ?

Le terme série n'est pas à prendre ici dans son sens littéraire - c'est-à-dire une structure narrative relevant du feuilleton, découpé en épisodes- mais dans son sens plastique, à savoir un ensemble d'oeuvres, reliées, soit par un thème, soit par un protocole -une règle du jeu formelle - induisant un système répétitif ou un jeu combinatoire:

« La série, et les idées qu’elle suppose, est l’un des traits spécifiques de la modernité. On admet généralement que Claude Monet fut l’initiateur de cette rupture avec les conceptions antérieures de la création artistique. Les Meules (1890), Les Peupliers (1891) ou Les Cathédrales (1894) atomisent en effet les résultats d’un projet par essence inachevable dans une suite d’œuvres dont le nombre est, en droit, sans limite. La logique du chef-d’œuvre implique que tous les travaux préparatoires trouvent leur accomplissement définitif dans une réalisation qui est alors un véritable ‘microcosme’, reflet à la fois complet et unique d’un monde conçu comme totalité. La série, au contraire, entérine l’impossibilité d’une maîtrise. Fragment d’un tout hypothétique, éclaté et à jamais perdu, chaque œuvre singulière renvoie à tous les autres membres de la même suite. »

(Denys RIOUT, in Qu’est-ce que l’art moderne ?, Gallimard Folio / Essai, 2000)

Prenons l’exemple d’un texte de Michel BUTOR intitulé « Corot en Albuquerque », qui apparaît à plusieurs reprises dans ses collages épistolaires-que l’on peut aussi qualifier de « Mail Art ».

Voici quelques exemples d'opérations plastiques qui modifient le sens du texte:

- Exploiter les qualités de la matière (la transparence),

- Utiliser une procédure (la déchirure) qui déclenche des connotations.

La transparence du papier de soie, peut-être

associée au mot « brumes » .

La matière soyeuse du papier (papier de soie), et la déchirure de la photo du château, peuvent également évoquer : « le chant de soie qui se déchire à notre passage » .

Le papier déchiré

de la photo imprimée

peut renvoyer à la déchirure inscrite dans le texte.

Exemple supplémentaire:

- Exploiter le pliage et

- la superposition du texte et de l’image.

Lorsque l’on soulève l’image du château, nous voyons transparaître des formes colorées, qui évoquent des fleurs.

Cela rappelle la métaphore: « à l’affût du parfum des fleurs venant par bouffées du désert qu’elles auront couvert en un sursaut ».

La matière diaphane du papier de soie peut aussi évoquer la substance "du parfum des fleurs" – légère, volatile.

Un autre montage d'images, enveloppé avec le même texte, renvoie à un autre faisceau de significations.

La photographie centrale montre un paysage urbain, une route brumeuse et humide, dans laquelle se reflètent des bâtiments modernes.

Cette ambiance pluvieuse est renforcée par le fragment photographique situé en dessous : des gouttes d’eau qui tombent en cascade.

Ces deux images entrent en écho avec le thème de l'eau, qui se révèle lorsque l'on déplie le papier de soie sur lequel est imprimé le poème intitulé "Corot en Albuquerque".

Ainsi se dévoile, dans un premier temps, le fragment de phrase : « lointain océan ».

Puis, lorsque l'on continue de déplier le papier, nous découvrons l'amplitude du champ lexical de l'eau : "cette traversée de la mer fauve"[...] "ruisselantes de gouttes et de boue" [...] "qui giclent"[...] « vers le fleuve » [...] "le tracé de ses îles" [...]"pataugeront dans le limon" [...] "nageront dans le sang", pour se conclure avec "lointain océan".

Une même image peut changer de sens – de connotation – si elle est associée à d'autres images, ou à différents mots.

Le profil d’un oiseau, rapidement esquissé, apparaît à côté du nom de l’auteur du collage : Michel Butor. Cette juxtaposition a déjà un sens : en plus d’être le nom de l’écrivain collagiste, c’est aussi le nom d’un oiseau, un échassier, dont le nom commun est le Butor étoilé.

En dessous, se distingue un fragment d'un tableau du peintre Surréaliste Joan MIRO, sur lequel se dessine des formes ovales, qui peuvent évoquer des planètes en suspension, avec des couleurs qui suggèrent une ambiance céleste, un milieu cosmique: le bleu du ciel ou le jaune du soleil.

Lorsque l'on soulève le papier sur lequel est reproduit le tableau de MIRO, nous découvrons un fragment d'une autre de ses oeuvres, qui jouxte un commentaire tronqué, dans lequel nous pouvons lire: " le bleu de la mer et la luminosité du ciel". Cet extrait de texte entre en résonance avec les couleurs, bleu et jaune, de l'image que nous venons de soulever.

Des rouleaux de papier, portant des inscriptions, sont juxtaposés à l'image des oiseaux. Nous pensons alors aux messages accrochés sur les pattes des pigeons voyageurs ... Il s'agit, en réalité, de livres objets, réalisés par Michel BUTOR.

Puis, lorsque nous soulevons le dernier papier, nous voyons apparaître d’autres oiseaux...

Enfin, quand nous tournons la carte, nous découvrons

un poème de Michel BUTOR, intitulé "Le réveil des oiseaux-mouches", qui vient en quelque sorte illustrer a posteriori, les images collées au recto.

Ainsi, l'ambiance céleste et les oiseaux des peintures de Joan MIRO et de Graziella BORGHESI trouvent un écho dans le champ lexical du vol aérien :"en suspension", "traversant nuages", "oscillant de cime en ravin", "les secrets du vol"," par dessus marais et fougères".

Bien que Michel BUTOR semble, au premier abord (au recto), s’amuser à associer des images , pour développer leurs connotations ; l’écriture poétique, même si elle n’est pas visible au premier regard (puisqu’elle est reproduite au verso de la carte), semble surdéterminer l’interprétation des images juxtaposées.

Autrement dit, G. BORGHESI a d'abord peint sa série intitulée Oiseaux, Michel BUTOR a ensuite illustré cette peinture avec son poème -Le réveil des oiseaux-mouches-, puis il a ensuite superposé des images diverses sur la reproduction du tableau, en fonction des associations d' idées (le champ lexical) issues de son poème.

Ainsi, Michel BUTOR instaure un dialogue, un va-et-vient incessant entre les mots et les images, qui sont autant de variations poétiques (littéraires et visuelles).

Dans la même série –la reproduction des Oiseaux de Gabriella Borghesi- Michel BUTOR fait intervenir un fragment d’une reproduction de tableau du GRECO, peintre espagnol du XVIème siècle, qui montre une scène religieuse, où des anges aux ailes déployées, jouent de la musique au milieu des nuages.

Là encore, nous décelons un écho avec le champ lexical aérien du poème de BUTOR (« suspension », « nuages », « vol », etc.).

Une fois soulevée la reproduction du GRECO, nous découvrons des mots inscrits sur des supports divers, des sortes de "poèmes objets"- d' héritage Surréaliste-, qui surmontent la reproduction des Oiseaux de Borghesi.

Cet espace intercalaire vient, à la fois, encadrer la reproduction tronquée du tableau du GRECO, et introduire des mots qui évoquent, à la fois, l'image reproduite au dessus (les anges du GRECO), et le poème de Butor: "brumes", "tempête", "les étoiles".

Lorsque nous arrivons à la fin du montage, nous découvrons les oiseaux en suspension, associés à l'image de papiers dépliés, qui apporte une rime visuelle à l'image des anges aux ailes déployées. Cela rappelle aussi le soulèvement des papiers - comme des ailes légères- qui permet la (dé) couverte (et la lecture) de cette oeuvre.

Signature comme poésie visuelle

L'association des trois éléments:

patronyme (Butor) + oiseau (le Butor) + milieu aérien/céleste (le Butor étoilé), forme un champ sémantique, une chaîne de connotations, qui génère des associations d' idées, et des montages d'images.

De plus, l'association de ces trois éléments est récurrente dans les collages de BUTOR, à tel point que cela devient un jeu sur sa signature.

Il convient ici d' écouter l'auteur, qui a longuement analysé "la place que la signature occupe dans le tableau. Elle change l' oeuvre, en effet, non seulement parce qu’elle nous assure qu’elle est de tel peintre, tout en précisant notre connaissance de celui-ci, mais parce qu’elle nous oblige à regarder à un endroit particulier. Toutes les propriétés plastiques du titre vont s’y retrouver. »

Michel BUTOR, Les mots dans la peinture, Éditions Flammarion, 1989.

Dans ce collage, nous voyons le patronyme de Michel BUTOR apparaître à deux reprises : une première fois sous la forme de sa signature manuscrite, une seconde fois sous la forme de son nom imprimé, caché sous le volet central .

"Les oiseaux" figurent à la fois, en tant que mots, dans le fragment de texte visible au dessus de la signature, et en tant qu' image, dans l'image pliée située au-dessus.

De plus, si nous observons la façon dont est dessinée la signature de Michel BUTOR, nous pouvons interpréter la forme du "M" comme la figure stylisée d'un oiseau en vol.

De même, le champ sémantique du "ciel" apparaît, à la fois:

- dans l'image photographique : une vue en contre-plongée d'un ciel bleu, sur lequel se détache un clocher, et l' envol des tissus accrochés sur un fil à linge (qui résonne avec l' envol des oiseaux), ...

Et dans le texte, lorsque nous avons soulevé tous les papiers superposés, nous découvrons l' intégralité du poème de BUTOR, où "le mur du ciel" côtoie une "odeur de suie et de thé", ainsi que "le flaneur vespéral"[...] "tandis que les oiseaux s'exercent". Autrement dit, le champ lexical de l'air associe le ciel, les odeurs, la lumière, et les oiseaux.

Du coup, ce montage d'images et de mots peut être considéré, d'une part, comme une signature dédoublée, ou une signature au second degré, puisque l'ensemble des éléments jouent avec les connotations associées au nom de BUTOR (signature manuscrite, oiseau, milieu céleste ou aérien). D'autre part, comme une poésie visuelle autonome, puisque la totalité du poème entre en écho avec chacun des éléments visuels, pris séparément. Par exemple: "les faubourgs", "les ruelles", que l'on peut associer aux différents fragments de photos.

Dans ce collage nous retrouvons, par analogie, les 3 éléments analysés précédemment:

1/ La signature manuscrite dont le "m" peut faire penser à la forme d'un oiseau en vol...

2/ La figure hybride de style grotesque, qui évoque un dragon aux ailes déployées, mélangé à un décor végétal; et qui offre une rime visuelle avec le champ sémantique de l' envol, ou de l' oiseau (le Butor/oiseau)...

3/ La photographie d’un lac avec des roseaux, agités par le vent; évoquant, à la fois, la légèreté (champ sémantique de l’air, de l’envol) et le milieu naturel des oiseaux.

Dès lors, l'association récurrente du nom de BUTOR avec la figure de l'oiseau, ou la figure de l'étoile, fonctionne comme une extension de sa signature; ou comme un emblème, c'est-à-dire l'association d' attributs symboliques avec un patronyme.

Autrement dit, Michel BUTOR identifie ses oeuvres à un jeu de langage rendu visible, une sorte de charade visuelle, qui devient sa marque de fabrique, sa signature.

La carte comme motif

Parfois, la répétition de certaines images a valeur de signe. C'est le cas des cartes géographiques, ou des cartes routières. Ici, il ne s'agit plus de créer une variation autour d'une image singulière, mais d' articuler une composition autour d'une image générique: la carte géographique, qui renvoie à l'idée du voyage...

Michel BUTOR, 14 aout 1985. L : 19,5 cm, H : 10,5 cm. Fragment de carte postale, morceau de carte géographique, papier doré, papier aquarelle, peinture, rubans adhésifs . Collection Richard DI ROCCO, ©Photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

La carte géographique intervient alors comme un axe visuel, et un pivot sémantique, à partir duquel se déploient les autres fragments de texte et d’image...

Objet hybride, à la fois texte et image, qui mêle le dessin et les mots dans un espace rhizomatique, la carte géographique sert d' invitation au voyage.

Un voyage, à la fois, sur le plan visuel, puisque notre regard est conduit à sillonner les routes et les reliefs dessinés; et sur le plan sémantique, puisque la carte géographique est, par définition, la représentation d'un parcours pour le voyageur.

La série comme variation sur un dispositif de présentation.

Le dispositif de présentation peut modifier le sens de l'image et/ou du texte.

Voir le lien:

https://prezi.com/lqkcziwkgv7o/mail-art-de-michel-butor-dispositifs-de-presentation/

Qu'est-ce qu'un Tangram ?

Le Tangram, appelé en chinois « sept planches de la ruse », ou jeu des sept pièces, est une sorte de puzzle chinois. C'est une dissection du carré en sept pièces élémentaires.

Il a, entre autre, une fonction de casse-tête: le but du jeu est de reproduire une forme donnée, généralement choisie dans un recueil de modèles. Les règles sont simples : on utilise toujours la totalité des pièces qui doivent être posées à plat, sans se superposer.

Par extension, nous parlerons de Tangram, ou figures combinatoires, pour désigner certains dispositifs de présentation des collages de Michel BUTOR, lorsque la découpe du format - le format rectangulaire de la carte postale, matière première de ses collages - fait l'objet d'un jeu combinatoire, dans le but de créer une nouvelle forme. Par exemple: le rectangle devient un triangle ou un polygone.

La dislocation de l'image donne lieu à une procédure combinatoire, générée par un modèle de figure.

Autrement dit, la forme rectangulaire initiale de la reproduction photographique est découpée, puis combinée, de façon à créer un triangle.

Ainsi, l' édifice est éclaté en deux parties, disposées tête-bêche, et la partie supérieure semble fuir en oblique.

Du coup, le regard est dirigé dans des directions opposées, multiples. La recomposition de l’image disloquée est aussi une désorientation du spectateur.

Cet espace disloqué et multidirectionnel,

qui est la conséquence d'un jeu formel (transformer un rectangle en triangle), entraîne donc une mobilité du regard sur l'image...

Mais le dispositif de présentation n'est pas figé, il est articulé, pliable. Du coup, cette présentation a une deuxième conséquence: lorsque nous plions les différentes parties, le texte qui se trouve au dos de l'image, apparaît, lui aussi, éclaté dans plusieurs directions. Dès lors, nous sommes confrontés à une écriture -et une lecture- non linéaire.

Si nous continuons à plier les fragments d'image, nous assistons à de nouvelles combinaisons spatiales qui tendent, peu ou prou, vers une composition rayonnante.

C'est-à-dire une figure en étoile (un Butor étoilé) animée d'une force centrifuge, qui nous oriente dans toutes les directions à la fois.

Ainsi se dessine un jeu sur la présentation du texte et de l'image qui constitue une procédure récurrente dans les collages de Michel BUTOR, à savoir désorienter le lecteur/spectateur pour l' inviter au voyage, dans tous les sens . Un voyage multidirectionnel dans l'espace des images, et un voyage polysémique dans le texte.

Rappelons ici que la figure étoilée, rayonnante, est un motif emblématique des collages de Michel BUTOR (le Butor étoilé).

Qu'est-ce qu'un palimpseste ?

Par analogie, nous appellerons palimpseste, les dispositifs de présentation, utilisés par Michel BUTOR, qui jouent sur la transparence des papiers.

Du coup, ces oeuvres laissent deviner l' image, et/ou le texte qui se trouve en dessous.

Nous avons déjà observé, dans cette œuvre, comment les associations du texte et de l’image peuvent s’enrichir mutuellement. Nous avons également vu que la matérialité du papier, à savoir la transparence du papier de soie, avait des résonances dans le champ lexical du poème…

Il convient maintenant de s'interroger sur les significations associées au dispositif du palimpseste.

D'une part, la superposition du papier de soie laisse transparaître, sans totalement la dévoiler, l'image située en dessous.

D’autre part, le texte- imprimé sur le papier de soie - est rendu quasiment illisible par le pli du papier, rabattu sur l’image.

Ce jeu d' apparition/disparition, qui laisse deviner plutôt que voir, qui joue sur les limites de la perception, sur les limites du visible et du lisible, est consubstantiel au dispositif du palimpseste.

Il se manifeste lorsque nous déplions le papier.

En l'occurrence, il résonne avec le poème inscrit sur le papier de soie, qui commence par: "Le souvenir", et qui se poursuit, dans la même phrase, par: "ton siècle et tes brumes"...

En effet, l' effacement partiel du texte et de l'image, tout comme leur dévoilement successif, peuvent être associés à l'idée de "souvenir".

L'exercice du souvenir est souvent imprécis, nébuleux, comme s'il était vu à travers un épais brouillard, et ce, d'autant plus, lorsqu'il fait appel à des événements éloignés dans le temps. C'est ce que suggère la métaphore: "ton siècle et tes brumes".

Ainsi, le dispositif du palimpseste, permet, à la fois, d' entrevoir des couches de signes (texte et image) et des strates de sens.

A d'autres endroits, le palimpseste est utilisé pour son caractère cumulatif. C'est le cas des collages envoyés du Japon, avec des papiers japonais, dont la transparence permet de montrer la superposition des signes...

Michel BUTOR, 8 juin 1989. L : 9,8 cm, H : 22,5 cm. Fragments de cartes postales, ruban adhésif, texte imprimé . Collection Richard DI ROCCO, ©Photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Cette accumulation de mots et de signes graphiques permet de donner du sens à l' illisible: les idéogrammes japonais, exotiques, que nous ne comprenons pas, se mélangent et brouillent la lecture des mots français que nous lisons difficilement. Ce palimpseste évoque alors la prolifération des inscriptions (affiches ou enseignes publicitaires, informations urbaines, etc.), si bien décrite par Roland Barthes, dans l'Empire des signes, où l'écriture est contemplée pour elle-même. Autrement dit, la calligraphie fusionne l'écriture et le dessin. L'écriture n'est plus le vecteur invisible du sens , elle devient un pur signe visuel, une combinaison de lignes, un dessin dans l'espace.

Que ce soit par sa capacité d' effacement, ou de brouillage des signes, le palimpseste exploite toujours le potentiel expressif de l'épaisseur, et de la superposition des surfaces de papier. De plus, le soulèvement successif des papiers produit un dévoilement du sens.

A cet égard, le dispositif du palimpseste est comparable à "la structure séquentielle du support matériel du livre (la suite ordonnée des pages)"*, qu'il rend visible.

C'est-à-dire que les collages, de M. BUTOR, qui utilisent la transparence du papier, constituent une sorte de livre objet. Un "livre objet" qui tire parti de son volume, de son épaisseur ; qui donne du sens à la superposition des pages.

Les caches

Un cache ou une cache ?

Le mot cache est à prendre dans un double sens:

1 - Lieu propre à cacher ou à se cacher (une cache).

2- Élément utilisé pour masquer ou protéger une partie d’une surface lors d’une opération effectuée sur cette surface (un cache)..

Un fragment de sommet enneigé cache la photo d'un angle de mur...

Ce fragment de photo cache lui-même une gravure sur laquelle est inscrite des noms de lieux, des repères géographiques, et des morceaux de poème...

Lorsque nous soulevons le premier papier, nous découvrons Michel BUTOR lui-même, qui se cache derrière un pan de mur, comme dans une partie de cache-cache...

Puis, nous découvrons une composition rayonnante, assimilable à une figure de rose des vents, montrant les points cardinaux et des destinations exotiques, traversée par un poème cruciforme ...

Si nous associons cette image – une gravure de Michel BUTOR et Patrice POUPERON, intitulée « Dix-millionième de seconde»- à la photo du dessus, nous pouvons l’interpréter comme un rébus : derrière l’horizon (les sommets enneigés), c’est Michel BUTOR qui se cache, aux quatre coins du monde. Michel BUTOR, écrivain voyageur joue à cache-cache avec le regardeur.

Le cache - reliure

Ici, la grande bande de papier centrale a valeur de trompe-l'oeil : elle cache 2 images superposées et semble ainsi entamer leur intégrité...

Pourtant, lorsque nous soulevons ce cache, nous découvrons que ce que nous prenions pour deux images entières, était en réalité deux images séparées, coupées en deux. Ainsi, ce que nous avions pris, à première vue, pour une séparation, a en fait une valeur de suture: elle confère une unité visuelle à des images disloquées.

Puis, lorsque nous continuons à soulever les papiers, nous découvrons que la dislocation s’amplifie. Ainsi, la première image, coupée en deux, qui servait de cache, une fois soulevée, nous dévoile une image non pas coupée en deux, comme on s’y attendait, mais séparée en 6 parties, qui ne coïncident pas (un totem indien s’y mêle à l’image d’un trappeur).

Ici, la bande de papier centrale semble prendre un rôle comparable à la reliure d’un livre (ou dos carré collé), puisqu’elle solidarise (visuellement en l’occurrence, pas physiquement) ce qui menace de voler en éclat, c’est-à-dire les pages que l’on tourne. Sans reliure, les pages d’un livre seraient éparpillées et le fil du texte n’aurait plus de sens. Par analogie, cette œuvre montre une séquence visuelle qui transforme le cache en reliure visuelle

Les caches/diptyques

Michel BUTOR, 31 octobre 1988. L : 22 cm, H : 14 cm. Fragments de cartes postales, rubans adhésifs, carte postale . Collection Richard DI ROCCO, ©Photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Le cache de la partie centrale montre un morceau de vitrail, dans lequel nous distinguons à peine un personnage qui lève sa main droite près de son visage.

Geste d' écoute ? d'appel ? de bénédiction ?

Puis, notre oeil est irrésistiblement attiré à proximité de cette image, vers une phrase tronquée, qui développe tout un champ lexical de l'appel lointain ou du cri d' alerte : "entendre l'appel d'un oliphant" [...] "des hennissements" [...] "les aboiements". Du coup, nous interprétons le geste du personnage situé au dessus, comme un geste d'appel (un porte-voix), ou d' écoute.

Cette série d'appels sonores, sont, en même temps qualifiés, visuellement, de lointains, par la découpe de l'image qui sépare le texte du dessin du château (édifice représenté en perspective, vu en contre-plongée, c'est-à-dire de loin).

En effet, l'image découpée forme un diptyque, séparé par une zone grise, semblable à une tache d' encre, barrée de lignes noires, qui conduisent notre regard, comme des lignes de force, vers le personnage du vitrail.

Ainsi, l'espace visible sous le cache central, expose, à la fois, une distance (l'éloignement des voix, la séparation texte/image) et une transition (entre les parties séparées du diptyque).

Lorsque nous soulevons le cache central, nous découvrons, là encore, que la zone grise, qu'il masque en partie, est en réalité une image coupée en deux, un diptyque. Du coup, ce premier cache opère un peu comme un le cadre d'un retable (un diptyque), qui unifie des images séparées, ou comme une reliure, qui assemble les pages d'un livre...

Puis nous tournons la carte découpée du château, ce qui nous permet de lire le cartel de l'oeuvre: le nom des auteurs et le titre. C'est une oeuvre à deux têtes : un dessinateur et un poète, qui explique sa séparation en deux parties: image et texte ...

Une fois relevée la la carte du château, apparaît la gravure grise dans sa totalité, mais coupée en deux. un nouveau diptyque ...

La séparation en deux est alors visible, dans la composition de l'oeuvre.

D'un part, le centre de l'image est traversé par une série de croix, qui ressemble à une couture, qui, sur le plan visuel, sépare et unifie en même temps.

D'autre part, le texte est divisé en deux colonnes qui encadrent l'image.

Ce jeu de symétrie est, en outre, justifié sur le plan sémantique.

En effet, ce texte poétique est constitué de mots qui se répètent 2 à 2: "un à un", pas à pas", "peu à peu", etc.

La répétition en colonne de ces locutions, ressemble à une litanie, comme une énumération infinie de phrases en diptyques.

Autrement dit, avant même de découper sa reproduction, l'oeuvre originale (une gravure signée Michel BUTOR et Patrice POUPERON, intitulée Plumes sur le sable) était conçue comme un diptyque, à la fois dans la structure du texte, et dans la composition de l'image.

Michel BUTOR rend lisible dans son poème, ce qui est visible dans l'image.

La série des oeuvres en diptyques de Michel BUTOR offre une illustration ludique, d'une réflexion qu'il a mené, par ailleurs, sur la forme du livre:

"La première caractéristique du livre occidental actuel [...] est la présentation en diptyque: nous voyons toujours deux pages à la fois, l'une en face de l'autre".

(Michel BUTOR, Le livre comme objet, in Répertoire II, Paris, Éditions de Minuit, 1964.).

Le cache tactile

Parfois le cache prend une dimension tactile. En effet, Michel BUTOR exploite la fonction du cache , qui consiste à être soulevé ou rabattu à la main, comme la page d’un livre que l’on tourne. Du coup, le cache apparaît comme une surface de contact, il prend une dimension épidermique, qui joue sur des textures diverses.

La texture onctueuse de la peinture rend visible la trace du geste du peintre, qui s'imprime dans l'épaisseur de la pâte colorée.

Cet effet de surface renvoie, de manière allusive, à la surface neigeuse, traversée de sillons et d'empreintes, visible dans la photographie.

Ce jeu de traces trouve un écho dans les striures, hachurées, du dessin de droite.

Puis, lorsque l'on soulève le papier de droite, nous voyons apparaître avec plus de netteté le bord déchiré de la surface peinte. Ainsi, la matérialité du support se manifeste davantage, l'épaisseur du papier est rendue visible. L'arête rèche du bord déchiré contraste avec l'onctuosité et la viscosité de la surface peinte. Cet ensemble de sensations haptiques produisent une sorte de touché visuel.

La typographie expressive.

Qu'est-ce que la typographie expressive ?

Inspiré par le paysage urbain, dominé par les panneaux d'affichage publicitaires et les medias de la culture de masse (journaux, illustrés, prospectus, logos, etc.), PICASSO a intégré des mots dans ses papiers collés cubistes (en 1912). Du coup, la fragmentation de l'espace s'est accompagnée d'une dislocation du texte.

Par ailleurs, les Futuristes italiens ont inventé les mots en liberté, où les recherches typographiques servaient de lignes de force dans les compositions picturales. Ainsi le mot devient image, et le texte, comme l'image, se trouve déstructuré.

La dislocation du mot "journal" peut prendre plusieurs sens: soit le verbe jouer ("jou"), soit le mot "journal" (matière première des papiers collés).

A l'exemple de ses illustres prédécesseurs, Michel BUTOR s'est amusé déconstruire ses textes et à orienter les mots dans tous les sens ...

Les points cardinaux (EST et OUEST), ainsi que les noms de villes qui leurs sont associés, sont disposés de façon à montrer des directions opposées.

Au centre, la ligne du texte suit le contour du polygone qui l’enferme, l’écriture se fait dessin, les mots épousent les images.

Cette écriture figurative est justifiée sur le plan sémantique, puisque le texte lui-même suggère une circularité.

Autrement dit, l'écriture dessine une forme fermée sur elle-même, car elle contient une énumération qui désigne un cycle, à savoir la succession du jour et de la nuit: « la vague du soir » précède le « jour », suivie par la « vague du matin » qui conduit à « la plage de la nuit ».

Le poème est éclaté en blocs de textes, qui forment une croix, orientée vers les quatre points cardinaux.

Ici, le texte fait image, il dessine une figure (la croix), et participe pleinement à la composition visuelle.

Parfois, Michel BUTOR plonge les mots dans la peinture; la couleur devient expressive et l’écriture devient figure…

Cette fois, la disposition cruciforme des mots ne renvoie plus aux points cardinaux, elle évoque plutôt une biffure qui vient barrer les noms des victimes de la Révolution. Une rature, un effacement qui évoque la violence de leur disparition : comme un « couperet noir [qui] vient me trancher la vue ».

Ce jeu sur des énumérations évoquant un cycle, associé, visuellement, à des typographies en boucle, à des formes fermées sur elles-mêmes, est fréquent dans les collages de Michel BUTOR…

Pour évoquer un cycle céleste : «l’équinoxe des brumes », « le solstice des neiges », ou l’alternance des saisons : « quartiers d’automne », « quartiers d’hiver ».

Ou pour suggérer l'attente, le long chemin de "patience", répété comme une litanie, "tout au long de ce siècle", pour atteindre un nouveau millénaire, quand : "A minuit tombe l'an 2000".

Le collage comme

livre objet

Michel BUTOR, 4 aout 1990. L : 15 cm, H : 21 cm. Papier de couleur, fragments de cartes postales, rubans adhésifs, carte postale . Collection Richard DI ROCCO, ©Photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Gino SEVERINI

Dans ce tableau du Futuriste SEVERINI, le texte joue un rôle à la fois visuel et sonore.

Visuel: les mots suivent la courbe des lignes de force de la composition, et dessinent l'éclatement multi-directionnel de l'explosion.

Sonore: les dimensions variables du texte traduisent des éclats de voix ou les bruits du canon (onomatopées).

Michel BUTOR, 25 février 1985. L : 15,5 cm, H : 10,5 cm. Fragments de cartes postales, rubans adhésifs . Collection Richard DI ROCCO, ©Photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Canon en action, 1915.

PICASSO, Nature morte à la chaise cannée, 1912. Collage.

Michel BUTOR, 4 juin 2001. L : 20,8 cm, H : 20,8 cm. Fragment de photo, ruban adhésif, carte postale, photographie de Maxime Godard. Carte postale, reproduction d’une œuvre de Michel BUTOR et Patrice POUPERON, intitulée « Dix-millionième de seconde» texte, encre. Collection Richard DI ROCCO, ©photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Michel Butor : A minuit tombe l’an 2000. original 21 x 30 cm. Patrice Pouperon : Assemblage (quarts de cadran en matière plastique, X en métal émaillé). Chinon, Lucinges, janvier 2000.

Michel Butor : Au quart de tour, 1999. Patrice Pouperon : Assemblage (quart de cadran en matière plastique, carton ondulé en X en P.V.C).

Michel BUTOR et Patrice POUPERON,

Dix-millionième de seconde, gravure, 2001.

Michel BUTOR, 30 décembre 1987. L : 22,8 cm, H : 14 cm. Fragments de cartes postales, rubans adhésifs . Collection Richard DI ROCCO, ©photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Michel BUTOR, 26 aout 1988. L : 19 cm, H : 14 cm. Fragments de cartes postales, rubans adhésifs, cartes postales . Collection Richard DI ROCCO, ©Photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Michel BUTOR, 10 aout 1988. L : 19 cm, H : 14 cm. Fragments de cartes postales, rubans adhésifs, cartes postales . Collection Richard DI ROCCO, ©Photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Le livre comme objet est le titre d'un article de Michel BUTOR, dans lequel il a analysé les caractéristiques physiques du livre (Michel BUTOR, Le livre comme objet, in Répertoire II, Paris, Éditions de Minuit, 1964.).

Ce texte trouve un prolongement frappant dans les collages de Michel BUTOR.

En effet, l'ensemble des éléments constitutifs du livre, que BUTOR appelle "physique du livre", est analysé selon des catégories visuelles : une ligne qui forme un volume, horizontales et verticales, obliques, marges, la page dans la page, diptyques.

Chacun de ces constituants du livre, et de la lecture, se retrouve mis en oeuvre dans les collages, par le jeu des différents dispositifs de présentation que nous avons observé: les figures combinatoires, les palimpsestes, les caches, la typographie expressive.

Autrement dit, les collages de Michel BUTOR apparaissent comme des recherches visuelles, des sortes de maquettes de livre objet, qu'il a par ailleurs expérimenté en collaboration avec des artistes.

Car Michel BUTOR a réalisé plus de 2000 livres d'artistes, avec divers créateurs (peintres, graveurs, photographes, collagistes, etc.). Ses collages épistolaires permettent donc de retracer le chemin de sa réflexion sur le livre, c'est-à-dire un objet autant visuel que lisible, un objet plastique autant que littéraire .

Parmi les différentes séries de présentations, nous pouvons distinguer plusieurs types de dispositifs

(qui se combinent le plus souvent avec des variations sur une image, et/ou un texte):

Les palimpsestes

Un palimpseste (du grec ancien palímpsêstos, « gratté de nouveau ») est un manuscrit constitué d’un parchemin déjà utilisé, dont on a fait disparaître les inscriptions pour pouvoir y écrire de nouveau (par dessus).

Par extension, on parle parfois de palimpseste pour un objet qui se construit par destruction et reconstruction successive, tout en gardant l'historique des traces anciennes.

Lexique grec sur palimpseste. Italie du Sud, XIIIe siècle. Parchemin palimpseste, 25 x 17 cm. BnF, Manuscrits, grec 2631

© Bibliothèque nationale de France

Michel BUTOR, 20 décembre 1991. L: 18,7 cm, H: 15 cm. Fragments de reproductions photographiques, ruban adhésif . Collection Richard DI ROCCO, ©photographie Frédéric Chauvreau.

Les figures combinatoires

(Tangram)

(Dé) couvertes

en série

Tangram chinois:

le carré de base et une figure combinée

Les relations entre le texte et l'image,

dans les oeuvres épistolaires de Michel BUTOR,

s'articulent autour de séries,

que l'on peut classer en 3 catégories:

Dans les collages en série de Michel BUTOR,

un même texte peut changer de sens, ou prendre différentes connotations, s’il est associé à des images diverses, ou à des textures variées.

Michel BUTOR, 27 juin 1983. L : 22,2 cm, H : 15 cm. Fragments de cartes postales, rubans adhésifs . Collection Richard DI ROCCO, ©Photographie Frédéric Chauvreau, 2018

La série comme variation sur un texte.

La série comme variation sur une image.

(* Anne MOEGLIN-DELCROIX, Esthétique du livre d' artiste, Éditions Le mot et le reste/Bibliothèque nationale de France, 2012.)

Exemple de série, en peinture :

Claude MONET, La Gare Saint-Lazare, , huile sur toiles, 1877. Dimensions variables. Quatre œuvres tirées d'une série de douze peintures:

Quelques exemples de figures combinatoires - "Tangram"- de Michel BUTOR...

Comment le sens de ce texte peut-il varier ?

Michel BUTOR, 2 juillet 1997. L : 21cm, H : 15 cm. Déplié- H : 22, 2 cm. Fragments de reproductions photographiques, ruban adhésif, carte postale portant la légende : Graziella BORGHESI, Oiseaux, 1994 ; et un poème de Michel Butor intitulé Le réveil des oiseaux-mouches.

Collection Richard DI ROCCO, ©Photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Michel BUTOR, 15 avril 2002. L : 21 cm, H : 15 cm. ruban adhésif , papier de soie, carte postale.

Collection Richard DI ROCCO, ©photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Michel BUTOR, 15 aout 1997. L : 21cm, H : 15 cm. Fragments de reproduction d’un tableau du Greco, rubans adhésifs, carte postale, portant la légende : Graziella BORGHESI, Oiseaux, 1994 ; et un poème de Michel Butor intitulé Le réveil des oiseaux-mouches.

Collection Richard DI ROCCO, ©Photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Michel BUTOR, 20 décembre 1991. L: 18,7 cm, H: 15 cm. Fragments de reproductions photographiques, ruban adhésif bleu. Collection Richard DI ROCCO, ©photographie Frédéric Chauvreau.

Série réalisée autour du motif de la carte géographique :

Michel BUTOR, 4 décembre 1998. L : 15,2 cm, H : 22 cm. Fragments de reproductions photographiques, ruban adhésif, carte postale.

Collection Richard DI ROCCO, ©Photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Michel BUTOR, 13 juin 1994. L: 17,5 cm, H: 24,7 cm. Fragments de reproductions photographiques, fragment de carte géographique, ruban adhésif quadrillé vert. Collection Richard DI ROCCO, ©photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Michel BUTOR, 22 aout 1994. L: 12,5 cm, H: 24,8 cm. Fragments de reproductions photographiques, fragment de carte géographique, ruban adhésif orné de fleurs roses. Collection Richard DI ROCCO, ©photographie Frédéric Chauvreau.

Michel BUTOR, 7 septembre 1994. L: 11 cm, H: 27,2 cm. Fragments de reproductions photographiques, fragment de carte géographique, ruban adhésif noir. Collection Richard DI ROCCO, ©photographie Frédéric Chauvreau, 2018.

Michel BUTOR, 10 septembre 1995. L: 21,6 cm, H: 15,3 cm. Fragments de reproductions photographiques, fragment de carte géographique, rubans adhésifs. Collection Richard DI ROCCO, ©photographie Frédéric Chauvreau.

Michel BUTOR, 4 avril 1997. L : 16 cm, H : 22,5 cm. Fragments de reproductions photographiques, ruban adhésif, carte postale reproduisant un poème de Michel Butor.

Collection Richard DI ROCCO, ©Photographie Frédéric Chauvreau, 2018.